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enzoferrari

18 octobre 2007

Le pilote devient organisateur

L'écurie Ferrari est fondée le 1er décembre 1929 pour assister et faire courir les Alfa Romeo de plusieurs pilotes indépendants. Elle s'assure bientôt les services de grands champions comme Nuvolari et Campari. En 1931 et en 1932, l'écurie est victorieuse à maintes reprises. Enzo Ferrari a vite compris que son destin n'était pas de rester pilote automobile. Très vite, il fait preuve de dons d'organisation. «Chez Alfa Romeo, je n'étais pas qu'un simple pilote. Je ressentais le désir ardent de faire quelque chose pour les voitures, ces créatures vi¬vantes que j'aimais passionnément, se souvient Enzo Ferrari.

Ainsi Ferrari entre chez Alfa Romeo en 1920. Il s'y mène de nombreuses tâches, même des rapports avec les fournisseurs. En 1923, l'Alfa P1 déçoit les dirigeants de l'écurie, qui le char¬gent de se rendre à Turin pour tenter de soustraire aux usines Fiat des techniciens de valeur. Tâche dont il va glo¬rieusement s'acquitter en convaincant Luigi Bazzi et Vittorio Jano (futur créateur de la mythique Alfa P2, voiture qui donnera satisfaction à la marque milanaise) à s'installer à Portello, près de Milan. Ferrari est en train d'acquérir une expérience humaine et technique qui lui sera fort utile dans sa carrière. À cette époque, il jette les bases de son activité de "grand agitateur d'énergies humaines" qui, trente ans plus tard, aboutira au lancement des monoplaces les plus célèbres des circuits du monde entier et par la conquête d'innombrables victoires au Championnat du monde de F1. En 1931, Enzo Ferrari court pour la dernière fois sur le Circuit des Trois Provinces (Bologne, Pistoia, Modène). Il est deuxième, derrière Tazio Nuvolari, autre pilote de l'écurie Alfa Romeo. Trois ans plus tôt, il a fondé l'Ecurie Ferrari, installée via Trento et Triest Modène, pour seconder les propriétaires privés d'Alfa Romeo, dont la grande maison lombarde ne peut se chargé.

La fondation officielle de l'écurie a lieu le 1er décembre 1929 et l'acte de "naissance" porte l'appellation de Societa anonima Scuderia Ferrari. Le capital de l'affaire a été fourni par Alfredo Caniato, négociant en chanvre, et par Ma Tadini, directeur d'un magasin de vêtements. Ferrari asume l'entière responsabilité des affaires et l'écurie s'installe dans les locaux du garage Gatti, à Modène. Ce n'est qu'en 1930 que la société déménagera dans la superbe villa Liberty du 11 de la via Trento et Trieste, à Modène. L'initiative remporte immédiatement l'approbation d'Alfa Romeo, qui voit la possibilité d'augmenter, sans en supporter conséquences techniques et financières, le nombre des pilotes de haut niveau conduisant ses voitures sur les circuits. Enzo Ferrari fait alors preuve de génie: il propose à Alfa Romeo un échange d'actions entre les deux écuries, afin d'obtenir un support technique, et, par son charisme et ses dons d'organisateur, il parvient à gagner la confiance de plusieurs grands pilotes (parmi lesquels Campari, Nuvolari, Varzi et Borzacchini) qui accepteront plus tard de courir pour l'écurie officielle du Commendatore.

En 1930, Ferrari engage Tazio Nuvolari, champion motocycliste. Il lui confie une Alfa P2 et le succès est immédiat : trois victoires le premier mois. Ce sera le clou de la saison, qui se solde pour l'écurie par vingt-deux participations, cinquante pilotes inscrits et huit victoires.

1931 sera une année à succès: l'écurie engage dix voitures aux Mille Miglia et remporte une deuxième place, grâce à l'équipe Campari-Marinoni. la saison se poursuit avec plusieurs vic¬toires sur des circuits de montagne et avec deux succès de Nu¬volari (Coupe Ciano et Circuit des Trois Provinces). Campari est vainqueur à la Coupe Acerbo et Nuvolari à la Coupe de la Consuma. Désormais, Ferrari compte dans la course automobile, d'autant que son directeur a également travaillé à la mise au point de plusieurs Alfa Romeo de compétition. Au début de 1932, le comte Carlo Felice Trossi rachète les parts d'Alfredo Caniato (qui possédait déjà celles de Tadini) et devient président de l'écurie Ferrari. Trossi est également un excellent pilote amateur, qui remporte la Coupe Gallenga cette année-Ià. L'écurie continue son ascension par les victoires de Nuvolari-Borzacchini à la Targa Florio, de Ghersi à la Coupe Messina, de Brivio-Siena aux 24 Heures de Spa et de Nuvolari à la Coupe Acerbo. 1931 marque aussi l'apparition du cheval cabré sur la carrosserie des voitures (le comte et la comtesse Baracca avaient fait don de leur emblème à Enzo Ferrari après la mort de leur fils aviateur italien, qui l'arborait sur le fuselage de son avion durant la Première Guerre mondiale). Enfin, Ferrari décide d'engagé des pilotes de motocyclettes, auxquels il confie des machines signées Rudge et Norton. Taruffi et Aldrighetti offrent plusieurs victoires au Commendatore mais celui-ci sait que son destin est lié à l'automobile : l'écurie poursuit sa progression.

En 1934 et 1936, les grands prix sont dominés par les Auto Union et les Mercedes. La Scuderia Ferrari est la seule qui parvient à s'opposer à ces adversaires. Au début de 1933, Alfa Romeo renonce à la compétition. Pour Enzo Ferrari cet événement a du bon car il va lui per­mettre de tenter une nouvelle expérience : cette fois-ci en ef­fet, il gérera sa propre écurie de course, la Scuderia Ferrari. Pour l'État italien qui vient à peine d'acquérir la propriété d'Alfa Romeo, la compétition revient beaucoup trop cher. Ferrari demande que lui soient confiées les toutes nouvelles P3; face au refus qui lui est opposé, il décide de faire modifier par les techniciens de l'écurie les 8C Monza et Mille Miglia avec lesquelles il a triomphé l'année précédente. La cylindrée est portée à 2,6 l. Il fait courir aux côtés de ses vieilles Alfa une monoplace Duesenberg flambant neuve équipée d'un moteur 8 cylindres de 4l de cylindrée. Dans l'esprit de Ferrari, cette acquisition est probablement un moyen de faire pres­sion sur Alfa Romeo afin d'obtenir les fameuses P3 ou bien encore une façon de profiter du prestige qu'une telle voiture ne manquerait pas de produire sur le public. Ou encore, s'agit-il peut-être d'un moyen supplémentaire de s'assurer la victoire. Mais la Duesenberg est un investissement inutile car aucune de ces trois options ne se concrétise. La Scuderia Ferrari remporte la victoire, mais avec les Alfa, les vieilles 8C. Nuvolari gagne la première course de 1933, le Grand Prix de Tunisie, et renouvelle son exploit aux Mille Miglia avec Compagnoni; il remporte une troisième victoire au Circuit Bordino d'Alessandria. C'est ainsi que naît le mythe du "Mantouan volant" et Ferrari sait en tirer parti en accroissant son prestige. Mais une mauvaise surprise l'attend, une surprise qui a la couleur bleue de la France et un nom évoquant l'Italie : Bugatti. Les Alfa 8C ne sont pas à la hauteur des créations du fameux Ettore Bugatti, et Nuvolari, qui s'impose pourtant à l'Eifel et au Grand Prix de Nîme commence à revendiquer le droit de choisir avec quelle voiture courir. Un souhait légitime puisque la Scuderia Ferrari n'est pas une équipe officielle. Nuvolari et Ferrari entrent en conflit et, le 2 juillet, Nuvolari signe un accord avec Ernesto Maserati pour courir avec ses monoplaces. Le Mantouan remporte victoire sur victoire mais désormais ses rapports avec Ferrari sont compromis. La rupture ne surprend personne et elle entraîne toute une série d'évènements qui tourneront à l'avantage d'Enzo Ferrari. Nuvolari et Borzacchini s'en vont mais Alfa, craignant sans doute d'avoir perdu le meilleur pilote du moment, accepte enfin de confier les P3 si convoitées à la Scuderia Ferrari. D'autre part, l'écurie de Modène engage Luigi Fagioli et Giuseppe Campari, qui trouve malheureusement la mort sur le circuit de Monza en cette même année 1933 dans un accident qui coûtera également la vie à Borzacchini et au comte polonais Tchaïkowski. Fagioli additionne les victoires et l'année se conclut par un bilan positif. En 1934, Alfa Romeo impose à Ferrari d'engager Varzi et Moll. Pour Ferrari c'est le meilleur moyen de compenser la perte de Brivio et Fagioli qui rejoignent respectivement Bugatti et Mer­cedes. Depuis le début, les Alfa P3 de la Scuderia Ferrari, amélio­rées par les techniciens de la firme dirigés par Luigi Biazzi, font preuve de compétitivité. Varzi devient aussi célèbre que Nuvo­lari; les deux hommes se partagent désormais les honneurs du public et leur rivalité restera célèbre. Quoi qu'il en soit, les diffi­cultés de Ferrari ne viennent pas du fameux Mantouan mais des monoplaces allemandes, de plus en plus rapides. Les P3 rempor­tent la victoire, certes, mais généralement grâce aux ennuis mé­caniques qui frappent leurs adversaires. La Scuderia Ferrari entre dans une passe difficile, aggravée par la mort de Guy Moll.

En 1935, Nuvolari est de retour et Ferrari met au point une monoplace extrêmement puissante, la Bimotore, un monstre équipé d'un moteur 16 cylindres. Entièrement conçue à Modène, elle peut être considérée comme la première voi­ture signée Enzo Ferrari. Mais son poids excessif ainsi que des problèmes de pneumatiques ne permettent pas à la Bimotore de gagner autant qu'elle le devrait (sa vitesse maximale est de plus de 320 km/h); alors Ferrari s'en remet encore aux P3, moins rapides mais plus fiables, qui remportent aisément la victoire grâce au génie de Nuvolari. En 1936, Enzo Ferrari est au faîte de la gloire: il est le représen­tant d'Alfa Romeo sur les circuits, il a construit une monoplace à laquelle il peut donner son nom, et a à ses côtés des hommes comme Tazio Nuvolari et Nino Farina, et surtout c'est le seul à avoir tenu tête aux colosses allemands Mercedes et Auto Union. On le définit volontiers comme un homme coriace, têtu, volontaire. Il ne cessera jamais de le démontrer par la suite.

En 1938, l'écurie Ferrari de Modène n'est plus pour Alfa Romeo le pôle technologique des compétitions. Le Commendatore s'installe à Milan pour diriger Alfa Corse, département sportif officiel de la maison lombarde mais l'heure est au changement et quelques mois après son arrivée, Ferrari démissionne. La revanche ne se fera pas attendre. En 1937, les rêves de victoire de Ferrari coïncident avec ceux d'Alfa Romeo, géré depuis 1933 par l'État italien, mais pas avec ceux de Benito Mussolini et du Parti fasciste. Les dirigeants du régime exigent toujours plus de la maison lombarde, avides de victoires, de succès et de gloire sur la piste, afin de traiter d'égal à égal avec les Allemands, qui utilisent les succès de Mercedes et d'Auto Union pour accroître le prestige du nazisme. Le gouvernement italien fait pression sur les dirigeants de Portello pour que le département course soit rapatrié à Milan. Ainsi 80 % des actions de l'écurie Ferrari appartenant au Commendatore lui-même sont-ils cédés à Alfa Romeo dès le début de l'année 1937. Mais il n'y a pas à discuter, car les ordres viennent des hautes sphères. Par cette décision, Ferrari perd une grande partie de son autonomie. On envoie Gioachino Colombo à Modène pour étudier une nouvelle monoplace et Ferrari travaille pendant ce temps au développement de nouveaux moteurs de petite cylindrée pour la future Formule de Grand Prix. Les changements politiques et sa nouvelle activité technique n'empêchent pas le. Commendatore d'inaugurer la saison par un doublé aux Mille Miglia : Pintacuda et Mambelli sont premiers, Farina et Meazza se classent deuxièmes.Ferrari remporte d'autres victoires, avant de se mesurer aux Mercedes et aux Auto Union qui lui infligent cependant de cuisantes défaites. Malgré la détermination de Ferrari, l'écurie n'est plus ce qu'elle était et Tazio Nuvolari, l'as des as vainqueur au Circuit de Milan, ne parvient pas à modifier une situation toujours plus pesante, au point de mettre en péril l'avenir du Cavallino. Le climat brûlant créé par les dirigeants fascistes, qui veulent absolument égaler les Allemands en course, fait bientôt sa première victime: Vittorio Jano, concepteur des Alfa P2 et P3, est éloigné de Portello après la défaite des 12 cylindres milanaises.

Le 1er janvier 1938, on annonce la naissance d'Alfa Corse, département sportif de la maison lombarde installé sur le site de Portello. L'écurie Ferrari est absorbée par la nouvelle structure sans autre forme de procès. Mais qu'en est-il d'Enzo Ferrari lui-même ? Son expérience et son nom sont des atouts précieux que ne néglige pas le gouvernement fasciste, qui lui propose de rallier la direction d'Alfa Corse. Les mécaniciens, les pilotes, les techniciens, le matériel, les projets et les prototypes sont "déménagés" de Modène à Milan. On trouve dans les bagages du Commendatore quatre petites monoplaces avec moteur à huit cylindres d'une cylindrée de 1,5 1: ces voitures seront en fait les futures 158. La 158, plus connue sous le nom d'Alfetta, a été conçue en 1937 sous la houlette de Ferrari lui-même. Le moteur est un huit cylindres 1500 cm3 avec compresseur. Le projet est signé Gioachino Colombo, futur concepteur du moteur 12 cylindres en V qui marquera l'histoire du cheval cabré. Colombo a pour collaborateurs Alberto Massimino, responsable du dessin de la suspension arrière, Luigi Bazzi, Nasi et Giberti. Si les techniciens travaillant au projet proviennent de chez Alfa Romeo, la voiture est conçue à Modène sous la direction de Ferrari qui, au moment de la liquidation de son écurie, a vendu à Alfa différents projets et prototypes. Le contrat signé entre Ferrari et la maison lombarde est à l'avantage financier du premier, et l'argent encaissé (et celui gagné précédemment) permettra au Commendatore de fon­der après la guerre une firme à son nom. Le contrat prévoit toutefois une clause restrictive pour Ferrari: dès lors qu'il quitte Alfa Romeo, il s'engage à ne pas s'occuper de voitures de sport ni de compétitions pendant une durée de quatre ans au minimum. Le contrat lui interdit en fait d'utiliser son nom dans le monde des courses. Mais Enzo Ferrari contournera très bientôt la difficulté.

En 1939, Ferrari quitte Alfa Romeo et déclare: « Je ne souhaite pas abdiquer mes convictions.» Le retour à Modène est officiellement motivé par la promotion comme responsable des voitures de compétition de Wilfredo Ricart, personnage avec lequel Ferrari n'a jamais entretenu de bons rapports. En réalité, le Commendatore ne supporte pas de se sentir en­travé et souhaite retrouver sa chère liberté. « Entre les mains autocratiques d'Enzo Ferrari, l'écurie jouissait d'une remar­quable indépendance et il était souvent difficile de dire si c'était Ferrari qui travaillait pour Alfa Romeo ou le contraire ! » raconte Griffith Borgeson, l'un des meilleurs spé­cialistes de l'histoire d'Alfa Romeo. À Modène, Ferrari retrouve les locaux de la via Trento et Trieste qui avaient précédemment accueilli l'écurie et il y fonde l'Auto Avio, société spécialisée dans la fabrication de pièces mécaniques pour avions et automobiles. Un petit groupe de mécaniciens d'Alfa Romeo l'a suivi en Romagne, preuve que le charisme du constructeur est déjà grand. Le Commendatore, persuadé qu'Alfa Romeo lui a volé sa mono­place 158, travaille à sa revanche: il sait qu'il construira bien­tôt une nouvelle voiture de course, qu'il baptisera 815. Enzo Ferrari vient à peine de quitter la direction des courses d'Alfa Romeo et il a tout juste le temps d'engager l'Avio 815 dans les Mille Miglia que l'Italie entre en guerre.

En 1943-1944, Ferrari transfère l'usine à Maranello et fabrique des rectifieuses. On est en 1940. Enzo Ferrari a quitté l'écurie de course Alfa Romeo depuis un an. À Modène, il fonde l'Auto Avio Cos­truzioni et fabrique des moteurs à quatre cylindres en ligne destinés aux avions-école de la Régie Aéronautique et des petites pièces automobiles. Officiellement, Ferrari ne peut pas produire de voitures de course en raison de l'accord si­gné avec Alfa Romeo et de la situation politique de l'Italie qui entre en guerre en juin 1940. Pour Enzo Ferrari, ces an­nées noires seront du "temps perdu". Mais avant l'entrée en guerre de son pays, il dispute encore deux compétitions, le Grand Prix de Tripoli et les Mille Miglia.

Enzo, qui sait affronter toutes les difficultés, parvient à fabri­quer en un temps record deux petites spider qui lui sont com­mandées par le fils d'Antonio Ascari, Alberto, et par le mar­quis Lotario Rangoni. C'est l'occasion pour lui de démontrer qu'il est capable de produire une voiture de compétition sans le concours d'Alfa Romeo dont la technologie lui semble désormais discutable. Ne pouvant lui donner son propre nom, il baptise la voiture Auto Avio 815 : huit pour le nombre de cylindres, quinze pour la cylindrée qui est de 1500 cm3. La mécanique de la voiture utilise des pièces empruntées à Fiat. La carrosserie du Milanais Touring est composée de panneaux en alliage d'aluminium et de manganèse. La 815 ne pèse que 535 kg, dont à peine 54 pour la carrosserie. Elle est le fruit du travail d'Al­berto Massimino - qui a collaboré avec Gioachino Colombo à la réalisation du moteur huit cylindres 1500 de l'Alfa Ro­meo 158 - et du technicien Vittorio Bellentani. Parallèlement, l'Histoire a déjà décidé qui sont les ennemis et les alliés. En 1939, la signature du Pacte d'Acier place les Ita­liens aux côtés des Allemands. Mais aux Mille Miglia de 1940, les Allemands sont des adversaires à vaincre à tout prix. Les deux 815, respectivement pilotées par Alberto As­cari-Giovanni Minozzi et Lotario Rangoni Machiavelli, ne fi­nissent pas la course. La victoire revient aux Allemands, mais Ferrari a montré à tous qu'il est capable de fabriquer une voiture de course compétitive en ne comptant que sur lui­même et sur des hommes qu'il parvient fort habilement à in­téresser à ses projets. Malheureusement, la guerre inter­rompt toute activité liée aux courses automobiles.

En 1943, la décision est prise de transférer l'usine à Maranello en vertu de la loi imposant la décentralisation industrielle. Le choix de cette localité, située à 15 km de Modène, n'est pas un hasard : Ferrari y possède quelques terrains. Le transfert est achevé au printemps 1944. Entre-temps, les Alliés ont débar­qué en Sicile en juin 1943; le régime fasciste est tombé et le gouvernement Badoglio a demandé l'armistice, signé le 3 sep­tembre et rendu public le 8. Maranello se situe dans la partie du pays occupée par les Allemands. La Résistance commence à s'organiser contre les occupants et leurs alliés, les fascistes de la république de Salà (ville lombarde où Mussolini fonda la République sociale italienne, en 1943). Au cours de cette période troublée, Ferrari se trouve pris entre les Allemands et les partisans. On raconte qu'il faillit être fusillé mais fut sauvé par plusieurs de ses ouvriers engagés dans la Résistance... Une centaine d'employés travaillent à Maranello; ils seront bientôt 150. La production de l'usine prend un nouveau tournant, bien différent des moteurs pour avions- école. El rico Nardi, dont le nom est lié aux beaux volants des voitures de sport et qui fut l'essayeur de la 815, lui présente un marchand de machines-outils de Turin, Corrado Gatti. Celui­-ci lui propose de fabriquer des rectifieuses oléodynamiques. Le brevet est allemand. Ferrari demande la licence de fabrication; on la lui refuse. Une fois encore, Ferrari déjoue les obstacles; les lois de l'époque lui permettent, en effet, de reproduire l'outillage étranger. Cependant, à la suite d'une inspection allemande en 1944, toute la production sera saisie.

Ferrari continue de songer à d'autres machines: les automobiles... L'usine subit deux bombardements en 1944 mais est vite remise en état. Ferrari va de l'avant et, à la fin de la guerre, il reprend ses projets là où il avait dû les interrompre. Le premier est de taille : un moteur à douze cylindres... Le 12 mars 1947, la première voiture aux armes du Commendatore, la 125 S, est prête. Le premier tour de clé a été donné par Enzo Ferrari lui-même. Les années de l'après-guerre sont celles de la reconstruction. Pour Enzo Ferrari, c'est l'époque de la reprise en main des vieux projets abandonnés en 1940. Son rêve est de fabriquer un moteur à 12 cylindres, inspiré des deux exemplaires créés avant guerre. Le premier 12 cylindres dont Ferrari se sou­vienne est celui d'une Packard. Le second est celui mis au point par Wifredo Ricart, chez Alfa Romeo. Mais Enzo Ferrari n'a pas l'intention de copier le technicien espagnol : pour lui, seule la compétition automobile est importante et il est convaincu qu'un moteur capable, à cylindrée égale, de déve­lopper une puissance supérieure sera à la base d'une compé­titivité sans faille. Enzo Ferrari a rappelé, dans ses mémoires, que les 12 cylindres Alfa Romeo ne s'étaient jamais aventurés en piste. Le Commendatore n'a jamais eu le pardon facile et ses divergences de vues avec Ricart sont restées longtemps présentes dans son es­prit. En 1945, il engage Gioachino Colombo, récemment sus­pendu par Alfa Romeo pour des raisons politiques. C'est lui qui va dessiner le nouveau moteur à 12 cylindres, dont la réalisa­tion sera toutefois assurée par un autre "transfuge" d'Alfa Ro­meo, Giuseppe Busso, engagé par Colombo à la fin de 1945, alors que lui-même est rappelé par Alfa Romeo. Entre Co­lombo et Ferrari, c'est une vieille histoire d'amitié et d'estime réciproques : dès 1937, le Commendatore engagea l'ingénieur, alors qu'il dirigeait lui-même la Scuderia Ferrari de Modène, département Course des usines milanaises. Ainsi, si Ferrari n'avait pas le pardon facile, il était cependant capable de se souvenir des hommes de valeur et de les associer à ses projets les plus prestigieux, quelques années plus tard.

Le 12 mars 1947, la première voiture portant le nom d'Enzo Ferrari, constructeur, est achevée. La 125 S est dotée du mo­teur 12 cylindres en V à 60°, d'une cylindrée de 1,5 l et d'une puissance de 100 chevaux à 7000 tours par minute. Le pre­mier tour de clé a été donné par Enzo Ferrari lui-même. Le 11 mai de la même année, deux 125 S sont prêtes à s'élancer sur le circuit de Piacenza, avec, au volant, Franco Cortese et Nino Farina. Mais seul Cortese participera à la course, Farina ayant eu un accident lors des essais. Maître de la course du 20e au 27e tour, Cortese doit abandonner à trois tours de la fin, en raison d'un problème à la pompe d'alimentation. Mais la vic­toire ne tarde pas: le 25 mai 1947, Cortese remporte le circuit de Caracalla, à Rome, et les journaux rendent immédiate­ment hommage à la première voiture de ce nouveau constructeur italien. Mais, pour Ferrari, la plus belle des vic­toires sera celle remportée le 12 octobre 1947, à l'occasion du deuxième Grand Prix de Turin. Raymond Sommer, pilote français, remporte cette course au volant d'une 125 portée à 2 l. À Turin, Ferrari peut enfin oublier l'affront subi en 1918, lorsque les usines Fiat l'avaient déclaré «incompétent» en mécanique ! Cette victoire, obtenue dans la capitale piémon­taise, fief des usines les plus célèbres d'Italie, le conforte dans sa féroce volonté de gagner. 1948 est également une année heureuse : vingt-huit courses disputées, dix victoires, onze deuxièmes places, six troisièmes. À l'occasion des Mille Miglia, remportées par le tandem Biondetti-­Navone, Ferrari a fait appel à Tazio Nuvolari : il estime à leur juste valeur les grandes qualités sportives du pilote mais est également sensible à la détresse humaine du coureur de Man­toue, qui a perdu deux enfants. À cette époque, le Commenda­tore a déjà conscience que la maladie va bientôt emporter son fils bien-aimé, Dino. Nuvolari ne termine pas la course, mais s'il y était parvenu, le résultat aurait conforté davantage Ferrari dans le sentiment que le moteur est l'élément essentiel pour ga­gner une course automobile, le reste n'étant qu'accessoire. Ce sentiment animera d'ailleurs Ferrari pendant de longues années. Lors de cette course, Nuvolari a "massacré" la voiture, abandonnant en piste jusqu'au capot... Cette même année, la 125 S subira une série de transformations, qui permettront d'élaborer la première monoplace Ferrari de Formule 1, inau­gurée à l'occasion du Grand Prix de Monza (course qui se ter­minera toutefois, pour l'écurie, par l'abandon des deux voi­tures engagées).

L'année 1949 se conclut par quarante-neuf courses, trente victoires, dix-huit deuxièmes places et douze troisièmes. Ferrari aime tout particulièrement les 24 Heures du Mans. Cette course d'endurance lui permet d"'éprouver" la résistance de ses voitures dans le temps, en plus de leur vitesse. À cette époque, le Commendatore réfléchit déjà à la com­ercialisation, après modifications, des voitures qu'il fabrique pour la compétition. La clientèle sera, bien sûr, fortunée; no­tons qu'à cette époque les pilotes achetaient les voitures avec lesquelles ils couraient. Parmi les premiers clients de Ferrari, on trouve ainsi les frères Besana, Bruno Sterzi, Nando Ri­ghetti, Clemente Biondetti et Igor Troubetzkoï. Ferrari ra­conte, dans ses mémoires, que son premier client fut le Mila­nais Giampiero Bianchetti, qui acheta en 1948 une 166 S. Les années 50 s'ouvrent donc, pour Ferrari, sous le signe de la victoire en F1 et de la réussite commerciale. Grâce à Alberto Ascari, Ferrari remporte sa première victoire au Championnat du monde de F1 et, surtout, prend sa revanche sur Alfa Romeo, firme avec laquelle il entretient des rapports d'amour-haine. Grâce à leurs victoires en Grand Prix, les voitures du Commendatore acquièrent un prestige international. L'année 1950 sera riche en courses passionnantes et en superbes victoires pour Ferrari, qui obtient jusqu'à trois succès en un seul jour ! Le 7 mai, Alberto Ascari est vain­queur au volant de la toute nouvelle Ferrari de F2, sur l'au­todrome de Modène. Le même jour, Villoresi gagne le Grand Prix de Suisse, tandis qu'aux États-Unis, Briggs Cun­ningham remporte la course du Suffolk Country. 1950 est également l'année de la dernière victoire de Tazio Nuvolari dans la course de côte Palerme-Monte Pellegrino, au vo­lant d'un spider Abarth 204 A. C'est le début du champion­nat de Formule 1 et Ferrari noue des liens d'amitié avec As­cari: le pilote participera activement à la construction du mythe Ferrari grâce à des victoires décisives. Comment Enzo Ferrari affronte-t-il le défi de la nouvelle F1 ? Sa réaction est conforme à sa nature profonde : suivre ses intuitions et persévérer dans ses choix. Si les Alfa ont remporté des brassées de lauriers avec des moteurs à com­presseur, les Ferrari des prochaines années le feront avec des moteurs atmosphériques. Aurelio Lampredi dessine pour l'Ingegnere le premier modèle de ce type, tandis que Luigi Bazzi le réalise. Au Grand Prix d'Italie de Monza, le 3 septembre, Ascari dispose de la monoplace 4500 cm3 à mo­teur atmosphérique. Lors des essais, il réalise le deuxième meilleur temps, derrière Fangio. À l'arrivée, il n'est que deuxième, mais Ferrari sait qu'il faut être patient.

La confir­mation de l'excellence de son choix arrive le 14 juillet 1951 à Silverstone. L'impact est décisif: Ferrari présente trois voi­tures, respectivement pilotées par Ascari, Villoresi et Gonza­lez, tandis qu'Alfa Romeo participe à la compétition avec Fangio, Bonetto et Sanesi. La course est le théâtre d'un duel serré entre les deux Argentins, Fangio et Gonzalez. Ce der­nier remporte la victoire, et Ferrari, fou de joie, lui offre une montre pour l'occasion. Bien des années plus tard, Enzo Ferrari confiera combien son ardeur était grande, à cette époque, à battre Alfa Romeo. Il avait alors le sentiment d'avoir offert à la marque plus que cette dernière n'avait ja­mais rendu à son jeune collaborateur. Mais, grand seigneur, Ferrari refuse de célébrer à Silverstone la défaite d'Alfa Ro­meo. Alberto Ascari offre la plus haute marche du podium à Ferrari dès 1952, année au cours de laquelle, sur 109 parti­cipations, les voitures du cheval cabré enregistreront 95 vic­toires, 47 deuxièmes places et 33 troisièmes places... La même année, l'Italie décerne à Enzo Ferrari le titre de Che­valier de l'ordre du Travail.

En 1953, toujours grâce à Ascari, Ferrari obtient un double titre, Constructeurs et Pilotes. Aux États-Unis, l'Ingegnere est l'Italien le plus célèbre, après Christophe Colomb. La re­vue Guerrin Sportivo de 1954 lui consacre un numéro en­tier: la couverture le présente au volant d'une monoplace de F1, tandis que la revue titre "Miracle à Maranello". La première Ferrari Championne du monde de F1 est pilotée par Alberto Ascari, le coureur attitré de Ferrari en ces an­nées mythiques et le restera pendant quatre ans et demi. Ascari offre alors à Ferrari tout ce qu'un pilote peut donner à son constructeur. Mais il n'en tire que peu d'avantages matériels : Enzo Ferrari n'est pas un homme d'argent ni pour lui-même ni pour les autres... Enzo Ferrari pensait, avant de l'engager dans son écurie, qu'Ascari exigeait trop des voitures : parmi ses caractéris­tiques de pilotage, on notera qu'il donnait le meilleur de lui-même lorsqu'il partait en tête. Après avoir remporté tant de succès, Ascari quitte Maranello en 1953 pour rejoindre l'équipe Lancia, avec son ami Villoresi. Enzo Ferrari commente ce départ par ces mots : « Lorsque l'on demande trop à un ami, l'amitié meurt. Et moi, je n'ai pas voulu perdre celle d'Ascari. » C'est au volant d'une Ferrari sport 2 l, qu'il teste à titre amical, qu'Ascari meurt le 26 mai 1955. Un choc terrible pour Ferrari, dont la popularité augmente de course en course. Ses voitures sont désormais célèbres dans le monde entier, de l'Europe aux États-Unis. Dans les années 50, le nom du constructeur de Maranello commence à se faire connaître dans le monde entier. De la Belgique à la Grande-Bretagne en passant par les États-Unis, ses voitures deviennent un symbole de vitesse et de richesse. Pour Enzo Ferrari, les années 50 dessinent une longue et constante courbe ascendante. Pas seulement dans le domaine de la compéti­tion. Dès 1950, l'usine de Maranello emploie deux cents ouvriers et ne cesse de s'agrandir. Cela est essentiellement dû à la course car, à l'époque, la production de voitures en série n'est pas très importante : en 1949, 21 voitures sont fabriquées, contre 26 en 1951 et 33 en 1952. Rien d'excep­tionnel à première vue. Et pourtant, ces quelques voitures arborant le célèbre emblème du cheval cabré, sont destinées aux garages les plus importants, les seuls qui comptent vrai­ment. Des voitures qui, évocant à la fois la vitesse et le monde des courses en raison de leur étroite parenté avec les Ferrari, accumulent les victoires.

Dans les années 50, l'histoire de Ferrari est davantage une histoire de renommée que de chiffres. Il faut attendre 1957 pour que soit franchi le seuil fatidique des 100 voitures pro­duites en un an; elles seront exactement 113. Car le nom de Ferrari est de plus en plus connu : avec ses voitures pré­cieuses comme des bijoux, il se prépare à être l'un des noms italiens les plus renommés à l'étranger. Le mérite lui en revient, sans aucun doute. Mais Enzo Ferrari n'a pas tout fait tout seul. S'il est devenu un symbole de richesse dans le monde entier, il le doit au moins à trois hommes : Luigi Chi­netti, Jacques Swaters et le colonel Ronnie Hoare, les trois "ambassadeurs" de Ferrari auprès de la bonne société des États-Unis, de Belgique (et plus généralement du nord de l'Europe) et de Grande-Bretagne. Introduits dans la haute société de l'époque, ces hommes allaient en effet servir d'intermédiaires entre Ferrari et un petit nombre de personnes fortunées qui pouvaient s'of­frir de telles voitures. Il est singulier de noter que la répu­tation des Ferrari est née près des casinos, des night clubs, des restaurants à la mode, des hôtels de luxe plutôt que sur les routes. Leur rapidité (rouler à 200 km/h avec une Ferrari dans les années 50 était très risqué !), leur puis­sance bien au-dessus de la moyenne étaient connues mais en quelque sorte "dissimulées" sous le capot. Alors que tout le reste était visible aux yeux de tous: un charme irrésistible, des lignes de toute beauté, un parfum de com­pétition et de risque, un volant en bois et du cuir Conolly (qui n'était pas le plus beau du marché, mais le plus solide, un cuir fait pour durer). Chinetti avec le North American Racing Team, Swaters avec l'écurie Francorchamps, Hoare avec la société Maranello Concessionnaires sont les interlocuteurs des futurs ache­teurs. La plupart des clients viennent de familles illustres, les De Portago, les Mar­zotto, les Schell, les Castellotti, les Perdisa. Les tractations se font directement, les clients se connaissent presque tous, qu'ils soient compagnons d'aventure ou amis de longue date. Pour vendre 61 voitures en un an (comme en 1955), inutile de contacter un grand nombre de personnes; il suffit de connaître les gens qui "comp­tent". Au cours des premières années, c'est Enzo Ferrari en personne qui traite directement à Maranello avec ses clients. Puis le nombre des ventes augmente et le rôle des intermédiaires prend de plus en plus d'importance. Difficile de faire autrement car la production de Ferrari connaît une croissance vertigineuse entre la seconde moitié des années 50 et le début des années 60 : 248 voitures pro­duites en 1959, 598 en 1963. C'est un véritable "boom".

Les Ferrari sont devenues l'un des symboles de l'Italie à l'étranger, aux États-Unis en particulier. Le contact avec les clients se fait désormais de plus en plus rare. Les Ferrari sont à la mode, il faut attendre des mois avant d'être livré et par­fois les clients sont sélectionnés en fonction du "poids" de leur nom. Les premiers artisans du succès de Ferrari, de Chinetti à Swaters en passant par d'autres moins important comme Gastone Crepaldi à Milan et dans le nord de l'italie sont peu à peu remplacés par de véritables sociétés d'importation comme celles que possèdent Fiat à travers le monde. Sans doute tout cela manque-t-il un peu de poésie. Mais restent des voitures splendides et performantes aussi bien sur route que sur circuit. Des voitures de Grand Tourisme. Un type d'automobile auquel Ferrari a donné un nouvelle vie.

Dans les années 50, Enzo Ferrari favorise le retour à la compétition des modèles issus de la série. Les pilotes privés contribuent à la réalisation de ce projet. Dans les années 50, certains personnages particulièrement fortunés aimaient piloter des voitures, quoique n'ayant ni le physique ni les capacités des pilotes professionnels. Ces hommes savaient très bien qu'ils ne monteraient jamais à bord d'une voiture de Formule 1 même s'ils avaient les moyens de se l'offrir. Il s'agissait de barons, de commendatori, de membres en vue de la haute bourgeoisie, de vedettes du spectacle ou d'industriels. Des personnages qui passaient leur temps à tenter de redorer l'image d'une Italie très affaiblie par la guerre. Des hommes qui rêvaient, sans se l'avouer, de courir sur le circuit de Monza, de franchir la fameuse parabolique et de rivaliser avec Juan Manuel Fangio, le grand Champion du monde... C'est à toutes ces personnalités que songe Enzo Ferrari avec l'une de ses innombrables et géniales trouvailles. La question que se pose le Commendatore est à peu près celle-ci: « Mais si tous ces gens veulent pratiquer la course automobile et qu'ils en ont les moyens, pourquoi ne pas trouver les voitures adéquates afin qu'ils puissent descendre sur les circuits ? ». Il fait alors deux choses. D'abord, il équipe d'une carrosserie berlinette (ce qui n'est rien de plus qu'une carrosserie de coupé très sportive avec deux portières et deux places) les châssis et les moteurs qu'on trouve également en sport-prototypes. Puis, il fait pression sur les organisateurs et sur la fédération du sport automobile pour que soient créées des compétitions pour ce type de voitures. Le succès est total et immédiat. Et, comme pour d'autres idées d'Enzo Ferrari, la formule est aussitôt exportée, et les compétitions pour voitures de Grand Tourisme (car tel est leur nom) se répandent dans toute l'Europe. Il en est de même pour les berlinettes frappées du cheval cabré qui dominent aussi bien sur route (et surtout devant les casinos et les hôtels les plus luxueux du monde) que sur circuit, sans qu'elles nécessitent la moindre modification grâce à une robustesse que leurs concurrentes sont loin d'atteindre.

Ferrari n'a pas inventé les Grand Tourisme de compétition. Ce type de voiture existait déjà avant la guerre, sous d'autres formes et avec d'autres moteurs. Enzo Ferrari n'a fait, mais avec quel talent, que perpétuer le genre : concevoir une voiture pour les gentlemen drivers. Il y ajoute deux choses de son cru, deux notions essentielles. Le Commendatore crée l'image d'un passe-temps dangereux et fascinant en adéquation avec cette époque où tout s'accélère et où les machines prolifèrent. Ensuite ses voitures, les Ferrari GT berlinette, ont véritablement marqué les années 50 avec leurs gros moteurs de 12 cylindres placés à l'avant sous des capots proéminents, d'une élégance rare, offrant des formances dignes d'une voiture de sport. Ces voitures portent des noms envoûtants: berlinettes 250 GT compétition ou 250 Tour de France. La 250 GTO, par exemple, dominent les compétitions réservées aux écuries privées. En réalité ces voitures, souvent conduites par des semi-professionels sont engagées sous le nom des clients, mais elles sont mises au point et réparées directement à Maranello. La naissance en 1955 de la Ferrari 250 GT, une berlinette équipée d'un moteur V12 de 3 l de cylindrée, dotée d'une carrosserie dessinée par Pininfarina et réalisée par Scaglietti marque !'explosion des courses destinées aux voitures Grand Tourisme. Le monde des pilotes amateurs est profondément marqué par la victoire du marquis Alfonso de Portago à Nassau, le 11 décembre de cette année-là. Pendant sept années, cette voiture et ses héritières lutteront contre les Jaguar, les Ford et les Aston Martin; ce qui se fait de mieux en matière de voitures de sport. Le palmarès de Ferrari s'enrichit de victoires dans des courses célèbres comme les Mille Miglia, les 12 Heures de Reims, la Coupe Intereuropéenne de Monza, le Tourist Trophy ou les 1000 Km de Paris. À cette époque, Ferrari remporte jusqu'à cinquante grandes courses en une année ! Et les pilotes sont de fabuleux "privés" tels Taramazzo, les frères Marzotto, Lualdi, Abate ou Bianchi pour ne citer que les plus célèbres. Ferrari redécouvre les voitures de Grand Tourisme. Une opératition à la fois commerciale et sportive. En effet, en 1962, championnat du monde des Constructeurs dont le vainqueur, contrairement au championnat du monde de F1, n'est pas un pilote mais une firme automobile, se dispute au volant de GT. Cette belle aventure prendra fin au milieu des années 60 (le championnat du monde des Constructeurs reviendra aux sport-prototypes en 1964). Mais le Comme) datore commençait déjà à porter son regard ailleurs. Au-delà de l'océan, vers les États-Unis.

Les États-Unis sont d'abord un champ de confrontations sportives, avec la participation d'Ascari à Indianapolis, avant de devenir !'un des plus grands marchés pour la firme italienne. Le Commendatore caresse le rêve de réunir la Formule 1 et la Formule Indy en un seul et unique Championnat du monde, mais sans succès. Dès 1952, cinq ans seulement après la naissance de la pre­mière voiture portant son nom, la firme participe aux 500 Miles d'Indianapolis, la course la plus célèbre de toute l'Amé­rique. La voiture est une 375 Indy, une ancienne Formula pro­fondément modifiée. Au volant, Alberto Ascari, dix-neuvième aux essais, il doit abandonner après la rupture d'un moyeu de roue. Ce sera la seule participation officielle de Ferrari à la fameuse course de vitesse américaine. Du monde des courses à celui de la route, le pas ne sera pas long à franchir. Au cours de ces années (et des suivantes), beaucoup de routières de la firme italienne portent des noms qui ne laissent planer aucun doute sur le marché visé : 340 America (1951), 340 Mexico (1952), 342 America (1952), 375 America (1953), 410 SA Superamerica (1955), 250 GT California (1957), 400 SA Superamerica (1960), 365 California (1966), 365 GTB/4 Daytona (1968). Au début, il s'agit de châssis et de moteurs très proches des modèles de compétition carrossés par les plus célèbres stylistes italiens, de Pinin Farina (a cette époque son nom s'écrivait en deux mots) à Ghia, en passant par Vignale. La 340 America, par exemple, est équipée d'un moteur de 4,1 l de 280 chevaux. C'est un spider avec une carrosserie de type barchetta réalisée par Touring; en pra­tique, c'est la sœur jumelle de la sport utilisée en compéti­tion l'année précédente. En revanche, la 340 Mexico (280 chevaux pour une vitesse maximale de 280 km/h) est spé­cialement conçue pour la Carrera Panamericana de 1952, l'une des compétitions qui intéressent le plus Enzo Ferrari, car elle rappelle les premières éditions des Mille Miglia avec leurs routes poussiéreuses. Il s'agit toujours de voitures de grosse cylindrée, très puissantes, destinées à des gens habi­tués aux grands espaces et aux chiffres astronomiques. À tel point que la production se divise en deux secteurs: les séries 250 à moteurs V12 de 3 l de cylindrée sont en pratique réservées à l'Europe tandis que les cylindrées plus élevées et les carrosseries monumentales partent pour les États-Unis. Les coupés de la famille Superamerica sont un bon exemple : elles sont équipées de moteurs 5 l pour 340 chevaux (en 1955), et dotées de longues carrosseries avec de grands ailerons à l'arrière comme le voulait la mode.

L'aventure américaine de la firme de Maranello se poursuit avec les 500 Miles d'Indianapolis en 1956; la voiture est une monoplace bap­tisée Bardhal-Ferrari, conduite par Nino Farina, dotée d'un châssis Kurtiss carrossé et réassemblé par OSCA. Elle est équipée d'un moteur 6 cylindres en lignes inspiré de celui des 121 LM mais qui se révèle peu performant. Le rapprochement entre les États-Unis et la firme de Maranello sera à son comble lorsque Enzo Ferrari se fera le défenseur d'un projet d'union entre le championnat du monde de For­mule 1 et le championnat de Formule Indy (il faut rappeler que jusqu'en 1960, les 500 Miles d'Indianapolis figurent parmi les Grands Prix comptant pour le titre de champion du monde). Ce projet se concrétise par deux courses qui se déroulent à Monza en 1957 et 1958 sur l'anneau surélevé du circuit construit pour l'occasion. L'événement est baptisé 500 Miles de Monza et compte pour le Trophée des Deux Mondes, qui récompense le pilote le mieux placé dans les deux courses des 500 Miles, celle d'Indianapolis et celle de Monza. Pour l'occasion, Ferrari construit une voiture, la 412 MI (MI comme "Monza-Indianapolis"). Luigi Musso part en pole position et, au classement général, lui-même, Hill et Hawthorn arrivent troisièmes derrière Rathmann, qui, vainqueur à Indianapolis, remporte le Trophée des Deux Mondes. Mais les Européens font preuve d'une profonde hostilité à l'égard des Américains : à l'occasion de la première édition des 500 Miles de Monza en 1957, l'association des pilotes de Formule 1 interdit à ses membres de participer à la compétition contre neuf pilotes américains. En 1958, cela ne se reproduira pas et Ferrari y sera pour beaucoup. Mais, désormais, le projet d'unir les États-Unis et l'Europe dans un seul et unique Championnat du monde est abandonné, Ferrari se contentant de continuer à vendre ses voitures en Amérique. Entre-temps, il connaîtra des succès éclatants qui orienteront son attention vers la Formle 1, un domaine dont il deviendra le maître incontesté. Les monoplaces Ferrari sont victorieuses sur les circuits du monde entier et le constructeur de Maranello accumule les titres : la F1 devient une spécialité italienne. À l'époque, certains par­Iaient de "Formule Ferrari", tant l'influence du fondateur de cette marque italienne était grande dans le monde de la For­mule 1 de la seconde moitié des années 50. À l'origine de cette réputation, il y a les innombrables victoires remportées par les voitures du Cavallino sur les pistes du monde entier, semaine après semaine. Une grande part de ce mérite revient personnellement à Enzo Ferrari qui, grâce à son charisme, est en mesure d'influer sur les décisions de la Fédération internationale et même sur celles des autres constructeurs. Son pou­voir s'exerce au niveau le plus haut, en Italie et hors d'Italie. Juan Manuel Fangio, Luigi Musso, Peter Collins, Maurice Trintignant, Mike Hawthorn, Tony Brooks, Jean Behra, Phil Hill et Wolfgang von Trips sont les glorieux chevaliers de la vitesse, héros de ce cheval cabré, estampillé en noir sur fond jaune, qui se couvre de gloire sur les pistes de Formule 1 du monde entier : de Monaco à Buenos Aires, de Reims à Sil­verstone ou de Monza à Syracuse. Une histoire faite de Grands Prix, de courage, de moteurs, de vitesse et de défis. Et si les pilotes de la formidable équipe Ferrari sont origi­naires de tous les pays du monde, le dialecte parlé à Modène par les techniciens, les mécaniciens et les directeurs sportifs (Mina Amorotti et Romolo Tavoni) est en passe de devenir la langue officielle de la course auto­mobile, où évoluent des hommes en quête de vitesse, de récompenses et parfois d'argent, sorte de caravansé­rail bigarré qui n'a encore rien de mondain ni de snob. Ferrari est sacré Champion du monde en 1956, grâce à Juan Manuel Fan­gio, puis en 1958, grâce à Mike Haw­thorn et de nouveau en 1961, grâce à Phil Hill.

Au championnat du monde des Constructeurs, Maranello est 2e en 1958 (titre inauguré cette année ­là), 2e en 1959, 3e en 1960 et 1er en 1961. Ferrari obtient six pole posi­tions en 1956, quatre en 1958 et six en 1961. Quant aux victoires, on en compte cinq en 1956, autant en 1961 et encore cinq autres réparties sur trois saisons, de 1958 à 1960, au cours des­quelles la firme italienne, pas toujours à son meilleur niveau, poursuit la conquête d'une glorieuse renommée, inaugurée seulement dix années avant. Les âpres discussions entre la Fédération et Enzo Ferrari sont encore dans la mémoire des observateurs sportifs de ces années-là. Le maître de Maranello aimait répéter : « Si je parti­cipe pour gagner, vous devez me payer; mais si ie viens pour perdre, vous devez me payer encore davantage... » Le battre était alors considéré comme mille fois plus méritoire que de battre un autre constructeur, même s'il s'agissait de noms aussi prestigieux que Lancia, Maserati, Mercedes, Aston Martin, Porsche ou encore Cooper, Vanwall, BRM et, enfin, Lotus, l'ennemi juré. Enzo Ferrari voyait en Colin Chapman, autre self-made man doté d'une immense personnalité et d'un cha­risme redoutable, un adversaire à sa mesure : le patron de Lotus était un homme qui, comme lui, avait su imposer sa propre empreinte aux victoires de ses pilotes et de ses voitures. Il aimait les voitures autant que le Commendatore et possédait, comme lui, un flair sans faille en matière d'hommes. N'était-il pas, en effet, le découvreur de Jim Clark, l'Écossais volant ? Les ressemblances avec le fondateur de Maranello étaient nombreuses... Enzo Ferrari construit paradoxale­ment sa popularité sur les désaccords qui l'opposent régu­lièrement à la Fédération internationale et aux autres constructeurs. Il impose son nom dans les discussions. Un nom qui possède une valeur incontestable. Il tente, par exemple, d'empêcher que la Formule 1 se dispute au volant de petites cylindrées : en effet, il construit de puissantes Grand Tourisme, dotées de moteurs V12, qu'il veut à tout prix imposer sur les pistes du Championnat. Mais, lorsque Porsche fait pression pour que les courses se disputent au volant de 1500 cm3, Ferrari accepte sans rechigner et appa­remment sans raison, en dépit de toutes ses revendications. Mais le "oui" du Commendatore coûtera à la firme de Stuttgart et aux organisateurs des Grands Prix des sommes pharaoniques. D'autre part, Ferrari ne s'est pas laissé arra­cher une telle décision sans "couverture" : il compte, en effet, sur un nouveau moteur à 6 cylindres, baptisé Dino en souvenir de son fils, et qui le portera à la victoire.

Sa seule bataille perdue sera celle des moteurs arrière. Toujours attentif à la production de série, Ferrari ne veut pas trahir ses clients en faisant courir des voitures dont le moteur est installé derrière le siège du pilote. Il va donc résister dans un premier temps, mais sans succès. Après avoir assisté aux victoires des petites voitures anglaise à moteur arrière, Ferrari se plie également à la nouvelle mode et remonte à la première place. Nous sommes en 1961 et la voiture victorieuse a été conçue par Carlo Chiti est pilotée par Phil Hill. D'autres projets animent le coeur d'Enzo Ferrari qui aime passionnément les Grands Tourisme dont la production augmente régulièrement. De nombreux succès qui ne parviennent cependant pas à lui faire oublier la mort de son fils, le drame de sa vie. En quelques mois, Enzo Ferrari passe du statut d'artisan à celui de véritable industriel grâce à la collaboration du carrossier Pinin Farina mais, dans le même temps, il perd l'être qui lui est le plus cher, son fils Dino. C'est entre 1956 et 1957 que la firme de Ferrari prend une nouvelle ampleur : le nombre de voi­tures produites passe de 81 à 113. Mais, en 1956, l'un des fils d'Enzo Ferrari, Dino, meurt. Pour le fondateur de la firme de Maranello, la joie et la douleur sont comme les deux faces d'une même médaille... En dépit de son immense chagrin, il tiendra bon et l'histoire de son entreprise se poursuivra.

À cette époque, le chiffre de 100 automobiles produites en un an représente un seuil infranchissable. Cette étape est donc résolument décisive pour la firme qui ne va plus cesser désor­mais de voir accroître sa production: 183 voitures en 1958, 248 en 1959, 306 en 1960, 441 en 1961, 493 en 1962, 598 en 1963, jusqu'au millier de voitures, frontière franchie en 1971 avec le chiffre record de 1246 automobiles. Ce succès est en partie le fruit de la collaboration avec Pinin Farina. Sans le célèbre carrossier turinois, Ferrari serait resté un artisan. Un artisan de luxe certes, mais un artisan. Pour bien mesurer l'importance du "mariage" de Ferrari et de Pinin Farina, il faut comprendre que c'est une évolution, ou mieux, une révo­lution, plus importante encore que celle de 1969, lorsque Fer­rari vend la firme à Fiat. Pourtant cet achat est destiné à assu­rer l'avenir de l'entreprise, notamment après la mort de son fondateur. La première voiture née de la collabo­ration avec Pininfarina est la 250 Europa, mais c'est avec le lancement de la 250 GT Pinin Farina en 1958 que l'entreprise parvient à maturité : les débuts difficiles et artisanaux ne sont plus qu'un lointain souvenir. La 250 GT Pinin Farina est fabriquée en 350 exemplaires, un record pour l'époque. Pour ce faire, les camions chargés des châssis partent de Maranello et arri­vent à Turin, à Corso Trapani, et de Pinin Farina. C'est là qu'elles sont car­rossées avec la classe et l'élégance qui firent la renommée de Pinin Farina dans le monde entier. Pour Ferrari, cette col­laboration marque un indéniable gain de qualité et l'entrée dans le cercle des grands de la production automobile mon­diale. Une période de succès qui laisse présager un futur sans nuages. Mais le malheur n'est pas loin. Alfredo Ferrari, surnommé Dino (d'Alfredino) meurt dans la maison familiale de Modène le 30 juin 1956 des suites d'une maladie longue et douloureuse. Atteint de dystrophie mus­culaire, il est terrassé par un blocage rénal, conséquence d'une néphrite contractée l'hiver précédent. Le lendemain de la mort de Dino, les monoplaces au che­val cabré disputent le Grand Prix de France. Les pilotes courent avec un crêpe sur le bras. Peter Collins est vainqueur : c'est un cadeau que Ferrari n'oubliera jamais. À compter du jour de la mort de son fils, le Commendatore, portera, de années durant, une cravate noire. Ce n'est que bien plus tard, lorsque son chagrin se sera un peu estompé, que sa tenue vestimentaire retrouvera des couleurs plus gaies. En revanche, Ferrari ne perdra jamais son sourire; c'est un comédien, un séducteur d'hommes et de femmes, un meneur. Chez lui, les moments de profonde tristesse, les larmes sincères alternent avec des instants d'euphorie. Il sait charmer ses interlocuteurs, qu'il s'agisse de grands industriels ou des ouvriers de sa propre usine, située dans la campagne près de Modène, des têtes couronnées d'Europe ou des compagnes des plus grands pilotes de Formule 1 qui ont fait partie un jour ou l'autre de son écurie. Ferrari exprime son attachement à son fils Dino de maintes façons. D'abord, en dédiant des voitures et des moteurs à sa mémoire, et notamment ce moteur, un V6, auquel son fils a prédit le succès.

À la fin de 1955, Dino est chargé par son père de concevoir, en collaboration avec Vittorio Jano, un nouveau moteur destiné à la Formule 2. C'est lui qui milite en faveur d'un 6 cylindres en V. Malheureusement, lorsque celui-ci est achevé, Dino est mort depuis cinq mois. Le 6 cylindres à double arbre à cames en tête, achevé grâce au travail de Jano, ne pouvait que porter le nom du fils de Fer­rari. La voiture est donc baptisée Dino 156 F2. C'est la première d'une longue série de voitures de tourisme et de monoplaces de Formule 1. Les Dino 246 F1 et 156 F1 seront respectivement victorieuses aux Championnats du monde de 1958 et en 1961, avec Mike Hawthorn et Phil Hill. Ces joies mettent du baume au cœur au fondateur de la firme de Maranello. Bientôt, Ferrari sera à nouveau confronté à d'autres dures épreuves. De grandes tragédies qui le feront vaciller sans pour autant venir à bout de sa ténacité et de son courage. En quelques années, le fondateur de la firme de Maranello voit malheureusement disparaître plusieurs de ses pilotes favoris. Par ailleurs, il est accusé d'homicide après le terrible accident de De Portago aux Mille Miglia de 1957, les dernières de l'histoire.

Entre 1957 et 1961, Enzo Ferrari vit des années qui sont parmi les plus noires de son existence. À ce même moment, la firme qu'il a fondée après la Seconde Guerre mondiale ne cesse de prospérer; elle conquiert les marchés les plus importants de la planète, les ventes et les gains augmentent régulièrement, notamment grâce à la collaboration de Pininfarina. Si l'entreprise d'Enzo Ferrari vit donc des heures de gloire, son fondateur - homme volontaire et têtu pour qui elle représente l'essentiel de sa vie - traverse l'une des périodes les plus sombres de son existence. En l'espace de quelques années, il est, en effet, accusé de fabriquer des voitures excessivement dange­reuses et de risquer la vie de jeunes hommes qui n'ont que leur courage pour les protéger. Tout commence le 14 mars 1957: au cours d'une séance d'es­sais privés sur l'autodrome de Modène, Eugenio Castellotti, compagnon de Della Scala et pilote de Ferrari, se tue. Il avait 27 ans et un avenir de champion devant lui. Pour Enzo Ferrari, c'est un coup d'autant plus dur qu'il s'était lié d'amitié avec le jeune homme, un pilote devenu un personnage en vue de l'Italie de l'époque et dont la disparition bouleversa l'opinion publique. Mais à cet épisode s'ajoute la tragédie des Mille Miglia de 1957 qui coûte la vie à l'un des meilleurs pilotes de Ferrari, Alfonso De Portago, et à dix autres personnes. En sa qualité de propriétaire de l'écurie pour laquelle courait le pilote, Enzo Ferrari est accusé d'homicide. Le 12 mai 1957, la Ferrari numéro 53 du marquis Alfonso De Portago sort de la route à quelques minutes de la ligne d'arrivée à Brescia. Au cours de l'accident onze personnes au total trouvent la mort : le pilote, le copilote (le journaliste Edmund Gurner Nelson) et neuf spectateurs. La presse s'insurge contre les courses automobiles et contre Enzo Ferrari en particulier, qui est condamné avant d'être acquitté après plusieurs années de tourment. Après ce procés au cours duquel il songera à abandonner le monde de la compétition, il constitue le 23 mai 1960 la société par actions SEFAI (Società Esercizio Fabbriche Automobili e Corse) qui remplae la Auto Costruzioni Ferrari totalement indépendante. Quoi qu'il en soit, face à la gravité de l'accident et au soulèvement général du public contre les courses automobile sur route, l'édition 1957 des Mille Miglia sera la dernière. Pour le fondateur de Maranello, cet épisode n'est que le début d'une période tragique où il verra disparaître plusieurs de ses meilleurs pilotes. C'est d'abord Peter Collins qui se tue sur le circuit du Nürburgring au Grand Prix d'Allemagne en 1958. Les journaux évoquent une rivalité d'ordre affectif avec Mike Hawthorn, son coéqui­pier, qui l'aurait distrait et rendu nerveux. Mais Enzo Ferrari est, lui aussi, mis en cause personnellement. À Reims, au Grand Prix de France de 1958, un nouveau drame s'abat sur la "famille" du cheval cabré. Luigi Musso, l'un des plus grands pilotes de Formule 1 de l'époque, est victime d'un grave accident et meurt à l'hôpital des suites de ses blessures. Là aussi, les rumeurs vont bon train. On raconte que Musso était contraint de remporter cette course, car elle le rappro­chait du titre mondial mais surtout parce qu'il avait d'énormes dettes de jeu. Le 9 juillet, l'Osservatore Romano dit de Fer­rari qu'il est un « Saturne qui dévore ses enfants ».

En 1959, c'est Mike Hawthorn, Champion du monde en titre sur Ferrari qui se tue dans un accident de la route. Cette fois-ci, Ferrari est entièrement hors de cause, mais il ne ressent pas moins durement la disparition d'un autre de ses "fils". Enfin, après une brève accalmie, le destin frappe à nouveau le 14 septembre 1961, au Grand Prix d'Italie, avant-dernière épreuve de la saison. À l'entrée du virage parabolique, Jim Clark, jeune pilote très prometteur, heurte avec sa Lotus la Ferrari de Wolfgang "Taffy" von Trips, baron allemand, en tête du championnat avec 33 points contre 29 (pour son coéquipier Phil Hill) et l'un des meilleurs pilotes de Formule 1. La Ferrari de von Trips s'envole littéralement, fauchant au passage quatorze personnes. Von Trips meurt sur le coup. La presse se déchaîne à nouveau. C'est l'un des plus grave accidents de tous les temps dans l'histoire des courses automobiles. Cette fois-ci, Ferrari n'est pas mis en cause mais quelque temps plus tard, il subira une nouvelle et dure épreuve. Une épreuve qui sera aggravée par une" révolution" au sein de Ferrari lui donnant plus que jamais un terrible sentime de solitude... À la fin de 1961, Ferrari se retrouve du jour au lendemain privé de ses meilleurs collaborateurs, parmi lesquels les ingénieurs Carlo Chiti et Giotto Bizzarrini et son directeur sportif, Tavoni. C'est une nouvelle épreuve pour le fondateur de la marque italienne. 1961 est une année impor­tante dans l'histoire d'Enzo Ferrari, une année joyeuse et triste à la fois, qui verra de nombreux changements marquer l'aven­ture de Maranello. En 1961, Ferrari est vainqueur en Formule 1, grâce à Phil Hill, sacré Champion du monde au volant de la Dino 156 F1, mono­place sans égale, conçue par Carlo Chiti et caractérisée par un avant en gueule de requin. Toujours en 1961, Ferrari remporte pour la deuxième fois consécutive le championnat des sport-­prototypes, grâce à sa flamboyante 250 Testa Rossa. Mais toutes ces satisfactions ne peuvent faire oublier la mort tragique, advenue en septembre à Monza, de Wolfgang "Taffy" von Trips et d'une quinzaine de spectateurs du Grand Prix d'Ita­lie. Un autre événement douloureux attend Enzo Ferrari en cette fin d'année, événement qui lui laissera un profond sen­timent de solitude : un groupe de huit cadres dirigeants sont licenciés pour des raisons qui ne seront jamais vraiment éclaircies. Pour Ferrari, c'est un grande perte, car on trouve parmi eux l'ingénieur toscan Carlo Chiti, génial concepteur des monoplaces comme des sport-­prototypes de Maranello des dernières années; Giotto Bizzarrini, ingénieur livournien respon­sable de la mise au point de toutes les Ferrari de tourisme et des voitures de compétition confiées aux clients sportifs; Romolo Tavoni, modénais, directeur sportif de Ferrari depuis 1957 et premier secrétaire privé d'Enzo Fer­rari; et enfin l'ingénieur Galassi. Se joignent à eux quatre cadres des services administratifs et commerciaux de Maranello : Gardini, directeur commercial depuis le début de l'aventure Fer­rari, Della Casa, directeur administratif, Selmi, chef du personnel, et Giberti, chef du service des Achats. Plus tard, deux d'entre eux revien­dront à Maranello, tandis que les autres prendront d'autres chemins. La raison de ce licenciement massif ne fut jamais éclaircie car chacun des protagonistes a toujours proposé sa version per­sonnelle des faits. Vraisemblablement, ces départs seraient dus à l'ingérence de l'épouse d'Enzo Ferrari dans la gestion du département Course et, plus généralement, à la mauvaise administration de Maranello. La légende raconte d'ailleurs que Laura Ferrari aurait giflé Girolamo Gardini, alors directeur com­mercial, dressant alors contre elle tous les autres dirigeants de Ferrari, qui exigèrent du Commendatore la garantie d'une indépendance totale dans leur travail. Enzo Ferrari aurait refusé de s'opposer à sa femme et donc licencié en bloc ses précieux collaborateurs. Selon une autre version, en revanche, ce serait Girolamo Gar­dini, habile directeur commercial parfaitement au fait des mécanismes qui régissaient Ferrari (puisqu'il participa à l'aven­ture depuis la fondation du Cavallino), le fomenteur d'une rebellion de tous les cadres à la seule fin d'ex­clure Enzo Ferrari de la direction de la maison qu'il avait lui-même fondée. À l'appui de cette thèse, on trouve le profond changement des statuts de la société qui avait eu lieu chez Fer­rari un an auparavant... À la suite des accusations portées contre lui après la mort de plusieurs de ses pilotes, Enzo Ferrari avait en effet décidé, afin d'être exposé moins directement aux conséquences des acci­dents en course, de modifier la raison sociale de la maison dont il était alors l'unique pro­priétaire et directeur, pour la transformer en une société par actions, dont il ne serait que le président. Ainsi naissait le 23 mai 1960 la SEFAC Ferrari (Società Esercizio Fabbriche Automobili e Corse). La première conséquence de cette transfor­mation fut le doublement de la surface de l' éta­blissement par la construction d'une aile de 7000 m2. Mais certains virent aussi en ce chan­gement de raison sociale une occasion de mettre fin au règne personnel de Ferrari, puisqu'un conseil d'administration gére­rait désormais la maison.

Quoi qu'il en soit, en novembre 1961, huit des cadres diri­geants de Ferrari quittent l'entreprise. Ils en étaient le "cœur" technique et sportif. Mais Ferrari, comme toujours, ne se laisse pas abattre. Bien au contraire : plus la situation est difficile, plus il semble combatif. Il découvre de nouveaux talents pour les départements administratif et commercial, et installe aux commandes de la gestion technique de la maison un jeune homme de 25 ans, nommé Mauro Forghieri qui, pendant vingt ­cinq ans, sera l'homme des monoplaces Ferrari de Formule 1. Enzo Ferrari aimait le jeu; ses coups de poker étaient généra­lement des coups de maître... Le Commendatore s'apprête également, en ce début de années 60, à laisser une nouvelle empreinte dans la légende dorée de la Formule 1. En effet, il s'attelle à la rédaction de ses mémoires. Au début des années 60, le fondateur de la firme de Maranello publie le premier d'une longue série d'ouvrages. Rien qu'en Italie, il en signera huit, de Le mie gioie terribili à Piloti, che gente... jusqu'à un livre recensant les caractéristiques techniques de tous ses moteurs.Très peu de livres d'Enzo Ferrari ont été traduits en français. Le plus connu, et le plus facile à trouver en collection de poche, est le plus ancien: Mes joies terribles. Il peut sembler étrange qu'un homme aussi éminemment pra­tique qu'Enzo Ferrari ait publié huit livres au cours de sa vie, dont certains sont des ouvrages de référence sur l'histoire du sport automobile. Mais il faut savoir que, dès son enfance, Enzo Ferrari a toujours nourri un amour profond pour l'écriture. Le journalisme a été l'une de ses grandes passions de jeunesse avec l'art lyrique et les moteurs. Le compte-rendu d'un match de football que le jeune Enzo Ferrari rédigea en 1914 pour la Gazzetta dello Sport est resté célèbre parmi les amateurs de chroniques sportives du monde entier. Ce match, qui opposait l'internazionaie (le célèbre Inter) à Modène s'acheva sur un score de 7 buts à 1 pour l'équipe milanaise. L'article de Ferrari est sec, incisif, truffé de mots étrangers (mêlée, penalty, cor­ner, forwards) comme le veut la mode de l'époque. Quarante-huit ans séparent ses débuts dans le monde du journa­lisme de la publication de son pre­mier livre : presque une vie entière durant laquelle Enzo Ferrari fonda et fit grandir une usine d'automo­biles et une des principales écuries de course du monde. Après avoir donné naissance à sa firme, le maître de Maranello avait enfin le loisir de se consacrer plus régulièrement à l'écriture. En 1962, il publie Le mie gioie terribili (Mes terribles joies) suivi en 1964 de Le mie gioie terri­bii, due anni dopa (Mes terribles joies, deux ans plus tard).

Dès ses débuts, Ferrari fait preuve d'un art de l'allusion redoutable qui lui permet d'attaquer l'adversaire sans en avoir l'air. Avec Il Folbert, Ferrari s'en prend violemment aux journalistes. On est en 1976 et il a désormais appris à bien les connaître. Cet ouvrage laissera une trace profonde dans le monde varié et susceptible du journalisme sportif... Piloti, che gente... (Les pilotes, quels personnages !) paraît en 1983. C'est l'un des ouvrages les plus importants d'Enzo Ferrari. Avec l'ironie et l'originalité qui le caractérisent depuis toujours, Ferrari trace le portrait de tous les pilotes qu'il a ren­contrés au cours de sa vie, une série unique d'instantanés allant de Giuseppe Campari à Gilles Villeneuve en passant par ces pilotes qui n'ont jamais été champions mais qui ont contri­bué au succès de l'équipe et auxquels Ferrari consacre quelques lignes. Quelques lignes qui parviennent à résumer une vie entière. Comment oublier ce que Ferrari écrit au sujet de Car­los Reutemann, qu'il décrit comme « un tourmenteur tour­menté » ? Jamais aucun journaliste n'a fait mieux. Sans doute parce qu'aucun journaliste ou écrivain n'a eu l'occasion de fréquenter d'aussi près autant de pilotes et de personnalités du monde des courses. Quoi qu'il en soit, le début des années 60, qui coïncide avec la fin des difficultés rencontrées à la fin des années 50, marque la période la plus faste pour le Ferrari auteur. Il lit de plus en plus; les œuvres de Stend­hal, Ojetti, Leopardi, D'Annunzio, Kafka et même d'Einstein garnissent sa bibliothèque. Que dire de son jugement lapi­daire au sujet de John Surtees? « Je sais ce que je perds, je ne sais pas ce que je perdrais si je confirmais son engagement ». Les exemples ne manquent pas qui témoignent du talen littéraire de Ferrari. Voici, par exemple, comment il décri Arnoux: « Arrivé à Maranello avec une réputation, assez peu flatteuse, d'animal de vitesse... ». Mais le Ferrari auteur sera appelé, dans les années 60, à mener l'un des plus durs combats qui ont émaillé la vie de la firme : la bataille pour s'imposer face à Ford dans la course d'endurance la plus prestigieuse, les 24 Heures du Mans. Une énième version du combat de David contre Goliath... Dans les années 60/ le fondateur de la marque qui porte son nom doit se battre pour conserver sa place de leader sur tous les circuits du monde. Les négociations de vente à Ford ayant échoué, une formidable lutte pour la suprématie au Mans commence entre le département course de Ferrari et le grand constructeur américain. Enzo Ferrari, en homme d'affaires avisé et en "meneur d'hommes" averti (comme il se définissait lui-même), savait parfaitement que perdre une bataille était sans importance si l'on gagnait la guerre. Le problème qui se posait alors à lui était le suivant : le combat qui l'avait jusque là opposé à Ford pour la suprématie aux 24 Heures du Mans, reine des grandes classiques d'endurance, s'était peu à peu transformé en une lutte à mort. Les motifs de cette riva­lité implacable étaient en fait extrêmement simples.

Au début des années 60, Enzo Ferrari rachète l'immeuble qui abrite le siège du constructeur Ford à Bologne. Mais l'affaire commerciale est beaucoup moins simple qu'il n'y paraît. Ce geste de Ferrari est subtilement ironique, comme s'il voulait dire par là: « Voilà le petit artisan de Modène qui rachète le siège italien de l'un des plus puissants constructeurs automobiles du monde ». Mais c'est égaIe­ment le moyen de lancer un message à une entreprise qui s'intéresse de près à "l'artisan" de Maranello, c'est-à-dire Fiat. Tout se passe comme si Ferrari fai­sait allusion à un possible accord ou rap­prochement avec la marque de Detroit. Ford et Ferrari entamèrent effectivement à cette époque des pourparlers pour le rachat de la firme italienne par la firme américaine, pourparlers qui culminèrent début 1963. Enzo Ferrari déclara à l'époque: « À qui laisserai-je Ferrari ? À un trust de milliardaires américains ? Si je conti­nue, au milieu de tant d'incompréhension, au milieu de tant d'ennemis de l'intérieur et de l'extérieur, si je me bats comme un vieux lion fatigué qui rugit plus qu'il ne peut griffer, je le fais uniquement pour ces 300 familles d'ouvriers qui travaillent pour moi. » Mais les pourparlers avec Ford, qui souhaitait acquérir une image sportive de haut niveau, échouèrent. Fer­rari dit non aux exigences américaines et ainsi commença la bataille du Mans. Ford avait entamé les hostilités indirecte­ment, en soutenant Caroll Shelby et ses Cobra GT, qui avaient donné du fil à retordre aux berlinettes Ferrari, entre 1962 et 1963. Puis, en 1964, Ford décida d'employer les grands moyer et mit au point sa propre voiture, la GT 40, capable de battre les Ferrari. Pour s'opposer à la puissance américaine, Ferrari engagea cette année-là aux 24 Heures du Mans pas moins de huit voitures officielles: trois 330 P, trois 275 P et deux 250 LM. Jean Guichet et Nino Vaccarella remportèrent l'épreuve au volant d'une 275 P. Cinq Ferrari terminèrent parmi les six premiers, tandis que la 4e place était occupée par la Ford de Dan Gurney et de Bob Bondurant. En 1965, l'atmosphère devint encore plus électrique. Ferrari avait mis au point les évolutions de ses propres voitures, engageant ainsi deux 330 P2 et une 275 P2, tandis que ses autres voitures frappées du cheval cabré participaient à la course à titre semi-officiel. Ford engagea deux prototypes de 7 l de cylindrée, plus quatre "petites" 4,7 l. Pour la firme de Detroit, ce fut un nouveau camouflet : trois Ferrari finirent aux trois premières places, tandis qu la première Cobra n'était que huitième. Mais Ford préparait sa revanche... En 1966, la GT 40 était désormais devenue une voiture de premier ordre. Légère, compacte, d'une aérodynamique efficace, puissante... Mais à Maranello, on ne s'en dormait pas non plus sur les lauriers de l'année passée et trois 330 P3 avaient été mise au point, versions améliorées de la Sport 12 cylindres de la saison précédente. Huit Ford furent engagées dans la plus célèbre course du Vieux Continent et sept Ferrari furent chargées de leur compliquer la tâche. La bataille fut rude, mais, après trois années d'efforts et des millions de dollars dépensés, Ford obtint enfin ce qu'elle voulait : la victoire au Mans. La Ford GT 40 Mk Il de Bruce McLaren et de Chris Amon remporta l'épreuve, immédiatement suivie par deux autres voitures "jumelles". La première Ferrari (une 275 GTB privée) n'était que 8e: un véritable camouflet pour le seigneur de Maranello. L'année suivante, en 1967, la bataille du Mans entre Ford et Ferrari prit des allures presque dramatiques. Les Américains engagèrent une évolution de la GT 40, la MK V, de 500 che­vaux, tandis que Ferrari envoya l'une des plus belles sport-­prototypes de tous les temps, la 330 P4. C'est avec une moyenne de 211 km/h que la Ford de A. J. Foyt et de Dan Gurney supplanta sur la ligne d'arrivée les Ferrari de Parkes-­Scarfiotti et Mairesse-" Beurlys". En 1968, aucune Ferrari offi­cielle ne courut au Mans et la Ford GT 40 de Pedro Rodri­guez et de Lucien Bianchi remporta facilement l'épreuve devant deux biplaces Porsche. Un succès qui se répéta l'année suivante, lorsqu'Enzo Ferrari engagea les nouvelles 312P qui n'avaient que trois litres de cylindrée...

Le bilan de la bataille du Mans n'est donc pas positif pour Ferrari. Et la guerre n'est pas terminée, car, en F1, avec une première victoire au GP des Pays-Bas en 1967, les moteurs Cosworth commencent à briller : ce sont des V8 sur base Ford qui gagneront très souvent. Mais, à cette époque, le plus important pour Enzo Ferrari est la vente de son entreprise. Après des négociations manquées avec Ford et des contacts pris avec Alfa Romeo, Enzo Ferrari cède la firme de Maranello au premier constructeur automobile italien. Mais il conserve une totale indépendance dans le domaine de la compétition automobile. Dans les années 60, le principal souci d'Enzo Ferrari est de continuer à faire vivre l'entreprise qu'il a fondée. Pour atteindre cet objectif, il faut qu'il trouve le partenaire juste. Et qu'il le trouve vite. Au début des années 60, en effet, le coût des compétitions est devenu extrêmement lourd, à la limite du supportable pour un constructeur comme Ferrari qui doit trou­ver ses propres financements. Les pourparlers avec le colosse américain Ford se poursuivent longtemps et c'est Ferrari qui refuse au dernier moment de signer le contrat. En effet, la firme de Detroit ne lui aurait jamais laissé une totale liberté dans le domaine de la compé­tition automobile, une liberté jugée essen­tielle par Ferrari. Dès le départ, Enzo Ferrari a été clair : « Je cède la firme, en laissant à d'autres le soin de s'occuper de la produc­tion, mais je veux pouvoir me consacrer entièrement à la course, tant pour les pro­totypes que pour les monoplaces, et ce, dans la plus totale indépendance, avec une abondance de moyens financiers et tech­niques dont je ne dispose pas. » En pratique, cela doit se traduire par l'exis­tence conjointe de deux "firmes"; l'une, Ford-Ferrari, chargée de la production des voitures de Grand Tourisme; l'autre, Ferrari-­Ford, qui aurait pris part aux compétitions. Ferrari se réserve 90 % de la propriété de la "Ferrari-Ford" ainsi que sa présidence et ne garde que 10% de Ford-Ferrari. Mais, au dernier moment, il se rend compte que les plans de la firme de Detroit sont très différents : Ford veut aussi contrôler les activités sportives de la firme et entend arriver à ses fins par le biais de plusieurs clauses ajoutées au contrat. Enzo Ferrari n'est pas dupe, et il rompt toutes les négociations le 20 mai 1963. C'est depuis cette date que Henry Ford décide de laver cet affront en rem­portant les 24 Heures du Mans contre Ferrari. Un an plus tard, en juillet, Ferrari revient à Milan, après vingt-­quatre ans d'absence, pour rencontrer Giuseppe Luraghi, le président d'Alfa Romeo. Au cours de cet entretien, il est, entre autres, question de l'avenir sportif de Ferrari et des ambitions d'Alfa Romeo. Mais la firme milanaise n'est pas encore prête à se lancer dans la compétition de niveau international. En 1969 Ferrari et Luraghi se rencontrent à nouveau, à Modène cette fois-ci. Luraghi informe Ferrari de sa ren­contre, quelques mois auparavant, avec Giovanni Agnelli, une rencontre au cours de laquelle a été évoquée l'éven­tualité d'un rachat conjoint de la firme de Maranello par Fiat et Alfa Romeo. Mais la firme milanaise renonce en rai­son du coût d'une telle opération d'autant plus que ces négociations coïncident avec le lancement d'un programme sportif avec Autodelta, une structure que dirige l'ingénieur toscan Carlo Chiti, transfuge de Ferrari. Toutefois ces pourparlers ne sont pas vains puisqu'ils permettent de resserrer les liens entre Ferrari et la firme turinoise. Des liens qui ont ­déjà porté leurs fruits comme en témoigne la réalisation du moteur à six cylindres en V dédié à la mémoire du fil du constructeur de Modène, Dino, qu équipe l'une des voitures de Ferrari, la Dino 166 Formule 2 et sa version de série la Dino 206 GT, ainsi qu'une GT Fiat également baptisée Dino et disponible en deux versions, coupé et spider, avec deux moteurs, 2 ou 2,4 l. Cette collaboration s'explique par le fait que, pour courir en Formule 2, Ferrari a besoin d'une certaine quantité de voiture produites (500 unités en un an, puisque le règlement de la Commission Sportive Internationale, pré­voyait que pour courir en Formule 2, il fallait utiliser des moteurs issus des voitures de série) et que, seule, elle ne peut pas remplir ces conditions. Encouragé par la vente de Maserati à Citroën en 1968, Ferrari désire vendre au plus vite sa firme.

La rencontre décisive avec Giovanni Agnelli a lieu le 21 juin 1969 au huitième étage de l'immeuble Fiat, Corso Marconi, à Turin. Parlant de Giovanni Agnelli, Ferrari dira quelques années plus tard: « Chez cet homme de vingt ans plus jeune que moi, j'ai ressenti toute la force de l'homme moderne, du politique et du fin diplomate, de l'observateur vif et aguerri. » Contrairement aux précédents, les pourparlers avec Fiat aboutissent et Ferrari est officiellement cédée à la firme de Turin, le 1 er août 1969. L'arrivée de nouveaux capitaux donne un nouvel élan à la firme de Maranello. Plusieurs techniciens viennent de Turin en même temps que les nouveaux fonds. Mais un double problème se pose d'entrée de jeu : comment faire face à la suprématie des Porsche au championnat du monde des Constructeurs et comment résoudre la crise de l'écurie de Formule 1 qui apparaît comme l'une des plus grave de toute l'histoire de la firme au cheval cabré ? Le début des années 70, malgré le soutien économique de Fiat, est une époque difficile, en course, pour le fondateur de la firme de Maranello. Au championnat des sports-prototypes, porsche est le nouvel adversaire de Ferrari, tandis qu'en Formule 1 les bolides rouges doivent affronter de puissantes écuries, difficiles à battre. Après avoir cédé son entreprise au constructeur turinois Fiat, Enzo Ferrari est confronté à une période difficile : Maranello est en effet en mauvaise posture, aussi bien en Formule 1 qu'au championnat des Sport-prototypes. Le Commendatore est à nouveau dans une passe délicate, qui risque de durement blesser son orgueil. En 1968, le règlement du championnat des Constructeurs est modifié : les sports, fabri­quées en plus de vingt-cinq exemplaires et pos­sédant une cylindrée maximale de 5 l, et les prototypes, d'une cylindrée maximale de 3 l, peuvent désormais y participer. Cette année ­là, grâce à l'abandon de Ferrari et de Chapar­ral, le championnat s'est disputé entre les Ford GT40 et les Porsche 908, et c'est la firme alle­mande, étoile naissante du championnat des voitures de sport, qui a remporté la victoire. En 1969, Porsche présente sa dernière création, la 917. Cette grosse biplace avec un moteur de 4,5 l à 12 cylindres (qui dis­pose, dans sa première version, de 560 ch) dominera le cham­pionnat des Constructeurs jusqu'en 1972, année où Ferrari reprendra la victoire grâce à sa brillante 312 P/B à 12 cylindres de 3 l. Pendant trois ans, la 917 reste la voiture à battre et personne n'y parvient. Dans sa version 1970, la voiture allemande dis­pose d'un moteur 5 l de 600 ch, et sur les tracés rectilignes rapides du Mans, elle atteint une vitesse de 380 km/h ! C'est pour battre ce monstre que Ferrari met alors au point sa 512 LM, biplace de 5 l à 12 cylindres, des­tinée à faire ses débuts aux 24 Heures de Daytona de 1970. Mais les efforts déployés par Maranello ne donnent pas les résultats escomptés et après le duel Ford-Ferrari au Mans, il ne reste au Commendatore qu'à ruminer sa défaite. La réflexion est d'autant plus douloureuse que depuis toujours, le championnat des Sport-prototypes, comme les courses réservées aux biplaces, est la chasse gardée de Maranello : au cours des années 50 et 60, Ferrari a toujours dominé ce type d'épreuves.

La revanche de Maranello n'aura lieu qu'en 1972 lorsque la 312 P/B remportera une série impressionnante de victoires et rapportera le lauriers suprêmes à Enzo Ferrari. Mais en ce début des années 70, la situation de Ferrari est aussi difficile en Formule 1 : après avoir obtenu la deuxième place au championnat des Constructeurs 1966, Ferrari connaît une période d'échecs. Le constructeur italien est quatrième en 1967 et en 1968, et cinquième en 1969. L'année suivante, en 1970, il est à nouveau deuxième, mais en 1973, il est sixième, avant d'être dixième (avec seulement hui points) en 1980 ! En 1971 et en 1972, il est quatrième. En 1969 et en 1973, pas un pilote Ferrari ne monte sur la première marche du podium en Formule 1, tandis qu'en 1968 et en 1972, l'écurie de Maranello doit se contenter d'une victoire en Grand Prix par an. Les maîtres de la Formule 1 sont à cette époque Lotus, Matra, Tyrrell et... Jackie Stewart. Lotus remporte, grâce à Graham Hill, le championnat des Pilotes 1968 et Matra (inscrit sous les couleurs de Tyrrell) est vainqueur en 1969, grâce à Ste­wart. En 1970, Lotus est à nouveau à l'honneur avec Rindt, qui devient Champion du monde à titre posthume, car il est décédé à Monza en septembre. Jackie Stewart est sacré en 1971, au volant d'une monoplace fabriquée par Tyrrell. En 1972, c'est Emerson Fittipaldi qui offre la victoire à Lotus, ­tandis qu'en 1973, Stewart est à nouveau vainqueur au Championnat du monde de Formule 1. Enfin, en 1974, le Brésilien Fittipaldi offre la victoire à McLaren. Pendant toutes ces années, Ferrari doit se contenter des miettes du festin de la Formule 1. Mais, en 1975, les feux passent au vert et Maranello renoue avec la victoire grâce à l'arrivée d'un jeune Autrichien destiné à jouer un rôle important dans la renaissance du Cavallino. Mais il s'agit d'un autre chapitre de la longue et fascinante histoire d'Enzo Ferrari. Très différents l'un de l'autre, tous deux ont pourtant conquis Enzo Ferrari, le premier en lui donnant deux titres mondiaux, le second grâce à son style de conduite et à son tempérament généreux et impétueux. Deux pilotes qui ont profondément marqué les dernières années du seigneur de Maranello. Peut-on aimer une chose et son contraire, et être toujours la même personne ? Oui, semble-­t-il, si l'on songe que, à cinq années d'intervalle à peine, Enzo Ferrari s'enflamme pour deux pilotes qui sont aux antipodes l'un de l'autre: Niki Lauda et Gilles Villeneuve. Ces deux hommes incarnent probablement les derniers moments de l'histoire de Maranello qui ont réellement compté pour Enzo Ferrari, deux moments extrêmement différents mais tout aussi passionnants.

Niki Lauda arrive chez Ferrari en 1974; sa candidature est appuyée par Clay Regazzoni qui, l'année suivante, se fera battre dans la course au titre mondial, un titre qu'il convoite depuis des années et qui semble enfin à sa portée grâce aux qualités de la nouvelle monoplace Ferrari. Pourtant, ce n'est pas lui qui défendra le plus brillamment les couleurs de la Scu­deria mais son poulain, un jeune Autrichien. Lauda n'est pas un homme extrêmement sympathique ni chaleureux, mais il n'a pas son pareil pour obtenir le maximum de la voiture qu'il pilote. Dans son ouvrage Piloti, che gente, Enzo Ferrari parle de lui en ces termes : «C'était un jeune homme sérieux, pointilleux dans sa manière de préparer et de mettre au point la voiture, ce qu'il fai­sait d'une façon instinctive, naturelle. En compétition, il se montra immédiatement à la fois sûr de lui et déterminé. » Un juge­ment élogieux certes mais froid, presque aussi froid que Lauda lui-même. Et si, quelques pages plus loin, Ferrari précise que Lauda « devint en peu de temps un pilote remarquable et intelligent : cela ne fait aucun doute », il manque encore singulièrement de chaleur. En revanche, il explose de joie lorsque Lauda remporte deux titres mondiaux en 1975 et 1977, redonnant à Ferrari son éclat d'antan grâce à ses performances, des perfor­mances qui n'étaient plus qu'un souvenir depuis quelques années. L'écurie Ferrari de la seconde moitié des années 70 domine lar­gement l'histoire des Grands Prix. Mais Niki Lauda manque le titre de Champion du monde en 1976 en raison de son terrible accident au Nürburgring. Il sera sauvé grâce au courage d'Ar­turio Merzario. Lauda sera deuxième au Championnat à quelques points du Britannique James Hunt. Puis, en 1978, Ferrari se retrouve avec une voiture, la 312 T3, qui est loin d'être aussi performante que les 312T et T2 de 1975 et de 1977. Mais, surtout, elle perd son leader, Lauda, et du même coup sa pré­pondérance : l'écurie est deuxième au championnat du monde des Constructeurs derrière Lotus et troisième avec Reutemann au Championnat du monde des Pilotes. Ce n'est, en fait, qu'un mauvais passage puisque Jody Scheckter lui redonne la victoire au championnat du monde de Formule 1 en 1979.

C'est l'aube d'une époque nouvelle : une époque mar­quée par Gilles Villeneuve, un jeune Cana­dien animé d'une passion sans borne pour la mécanique: avion, hélicoptère, scooter des neiges et, bien sûr, voiture. Il entre chez Ferrari à la fin de 1977 et y res­tera jusqu'au 8 mai 1982. Ce jour-là, sa voi­ture heurte la March de Mass en pleine séance d'essais à Zolder, en Belgique, et "décolle" avant de s'écraser sur la piste. Villeneuve mourra peu après des suites de ses blessures. Gilles, comme tous l'appellent simplement, conquiert immédiatement le cœur d'Enzo Ferrari. Il lui rappelle certains pilotes d'au­trefois comme Tazio Nuvolari, des pilotes qui conduisaient davantage avec leur cœur qu'avec leur cerveau. Villeneuve donne sans cesse le meilleur de lui-même et aucun autre pilote ne suscitera autant d'enthousiasme chez les supo­rters de l'écurie italienne au cours des années où ce jeune homme petit, frêle, au regard triste, se surpassa au volant de Formule 1 puissantes mais pas très performantes. Giles Villeneuve remporte six victoires avec les monoplaces Maranello, mais ce n'est pas cela qui enflamme le cœur d'Enzo Ferrari. C'est sa personnalité : Villeneuve peut passer sans problème d'une monoplace de F1 à une Fiat 124, du volant d'une voiture aux commandes d'un avion ou d'un hélicoptère ou encore d'un bateau à moteur avec le même élan, toujours prêt à relever le défi comme lorsqu'il renouvelle l'expérience de Nuvolari : disputer une course contre un avion (un avion de chasse à réaction). Il faut dire que Villeneuve est né au pays du scooter des neiges, un sport qui nécessite une bonne dose de courage. Cette qualité ne fait pas défaut au pilote canadien. C'est pour cela qu'Enzo Ferrari le choisit malgré les critiques de certains. « Je l'aimais bien», écrit-il dans Piloti, che gente. Quelques mots simples pour exprimer un sentiment qu'aucun autre pilote n'éveillera plus jamais chez Enzo Ferrari.

Dans les années 80, Ferrari enregistre des ventes records : ce boom, inédit dans l'histoire de Maranello, est le résultat de la mise au point de modèles prestigieux, d'une économie internationale florissante, d'un optimisme généralisé et du charme qu'exerce de par le monde le nom d'Enzo Ferrari, constructeur des voitures de sport les plus célèbres de la planète. On peut se demander si Enzo Ferrari a jamais imaginé que son petit atelier de Mara­nello serait un jour en mesure de fabriquer 4000 voitures de série par an : en effet, en 1947, date de la fondation officielle, rien ne laissait présager un tel développement. Cette année-­là, trois voitures seulement sont fabriquées à Maranello. En 1951, l'atelier produit trente-trois exemplaires, tandis qu'en 1956, le nombre grimpe à 81. En 1965, la pro­duction passe à 740, puis à 1000 en 1971, à 2000 en 1979, à 3000 en 1985, pour enfin culminer à 4000 en 1988. Cette croissance remarquable est en fait le reflet de l'évolution de la société occidentale : les années 80 connaissent un boom économique international, se traduisant par une formidable relance de la consommation (notamment celle des produits de luxe). En moins d'une décennie, la production annuelle de Fer­rari augmente de 2000 exemplaires (soit une croissance de 100 %), alors qu'il aura fallu trente ans à Maranello pour atteindre 2000 voitures annuelles (1950-1980).

Les voitures fabriquées à Maranello dans la seconde moitié des années 80 sont réservées plus de deux ans à l'avance. On notera également qu'à la même époque, les modèles d'occasion s'échangent à des prix supérieurs à ceux pratiqués lors de leur première commer­cialisation. La F40, par exemple, atteint des cotes d' œuvre d'art : certains exem­plaires sont vendus plusieurs fois le prix de vente officiel, lors de la mise sur le marché. La demande est si forte que les prix flambent, certains amateurs étant prêts à débourser des sommes vertigi­neuses pour posséder une voiture frappée du cheval cabré de ces années-là. La prospérité des années 80 fait oublier à Maranello les moments difficiles de son aventure industrielle : Ferrari a, en effet, connu de graves crises économiques en 1969, en 1974-1976, puis en 1982-1983. Ces crises auraient difficilement été surmontées sans le soutien financier de Fiat qui, alors que la marque se trouvait dans des passes difficiles, connaissait pour sa part des périodes économiques exceptionnellement florissantes. Les modèles qui font la fortune de Ferrari dans les années 80 sont conçus dans une optique très particulière : Maranello cherche avant tout à en améliorer le confort, la fiabilité et la facilité de conduite et imagine des voitures d'utilisation quotidienne. L'objectif de Maranello est alors de fabriquer des voitures de prestige dotées de prestations exceptionnelles, mais également confortables, faciles à conduire et agréables à utiliser. On notera cependant que la production Ferrari de la seconde moitié des années 80 s'appuie sur un nombre réduit de modèles. La Testarossa, présentée en 1984, est une grosse cylindrée, de dimensions imposantes et de prix élevé. Sa production sera importante: 568 exemplaires en 1985 et 819 en 1986. Le modèle connaîtra une très longue carrière et les techniciens de Maranello s'en inspireront étroitement pour concevoir la F 512 M de 1994. La 412 est une voiture qui n'a pas véritablement contribué à la réputation de Maranello, célèbre pour ses voitures sportives de prestige, dotées de prestations exceptionnelles et... d'une carrosserie rouge. Elle a toutefois permis d'asseoir son pouvoir économique: il en sera, en effet fabriqué 250 exemplaires par an. La GTB/GTS Turbo, commercialisée en 1986, est une évolution de la grande famille de 208/308, voitures de série parmis les plus célèbres de Ferrari. On citera également la 328 GTB/GTS, modèle sportif de très haut niveau fabriqué en un nombre important d'exemplaires (1467 pour la seule année 1986). Toujours équipée d'ur moteur 8 cylindres en V, la Mondial version 3.2 a également été fabriquée au cours de cette florissante décennie (1985-1989).

La F40 de 1987 est sans doute l'exemple le plus caractéristique de cette période dorée. Fabriquée en seulement 1000 exem­plaires, elle a cependant déchaîné la passion des amateurs de bolides frappés du petit cheval. La F40 est sans doute le sym­bole le plus éclatant de la frénésie économique des années 80. Après le boom des années 80, Maranello connaît une inévi­table période d'accalmie, aggravée par la crise économique internationale qui fait suite à la guerre du Golfe. Aujourd'hui, les choses se sont stabilisées et Ferrari connaît un rythme productif plus naturel s'élevant à plus de 4000 voitures par an. Ce volume permet d'assurer à l'entre­prise une certaine stabilité économique, tout en lui conservant son image de "producteur de luxe, de rêve et de mythe". Maranello prévoit de fabriquer le même nombre de voitures dans les prochaines années, nombre que les spécialistes jugent idéal. Enzo Ferrari a assisté avec plaisir au boom économique de Maranello, mais toute son attention tendait alors vers la Formule 1 et les compétitions : depuis plusieurs années, il avait, en effet, délégué à Fiat la gestion de la production de série. Bien qu'âgé, le Commendatore ne se désintéressa jamais de ses chères créatures et son grand intérêt pour la Formule 1 l'a prouvé jusqu'au dernier jour de sa vie. Dans les années 70-80, Enzo Ferrari est désormais un homme de légende. Le fondateur de la marque qui porte son nom s'occupe encore de la gestion de son équipe de Formule 1 : il fait des choix courageux et s'entoure de collaborateurs de confiance. Suvivre à sa légende est une tâche ingrate, même pour un homme comme Enzo Ferrari, habitués aux imprévus les plus spectaculaires.

Les dernières années de l'Ingegnere seront passionnantes et mouvementées, prolongement naturel d'une chevauchée exaltante et triomphale inaugurée des décennies auparavant, faite d'évènements innatendus, de choix courageux et d'intuitions formidables. Au cours des dernières années de sa vie, Enzo Ferrari s'occupe tout particulièrement de compétition automobile et gère de manière directe sa chère écurie de Formule 1. Il laisse en revanche la direction de la production de série à des hommes mandatés par Fiat. En Formule 1, il reste le "chef " incontesté. En 1986 par exemple, il décide de réaliser une monoplace de Formule Indy et menace d'abandonner la Formule 1. En 1987 il signe avec Jean-Marie Balestre et Bernie Ecclestone les Accords de la Concorde. Mais au cours des dernères années, Ferrari réduit considérablement ses apparitions en public, préférant se consacrer à l'écriture, sa seconde passion. Il reste toutefois un personnage de premier plan, aussi bien en Italie qu'à l'étranger, et ses déclarations, teintées d'humour et d'ironie parfois mordante sont toujours très appréciées.

L'ingegnere s'entoure de collaborateurs de confiance. Mauro Forghieri est l'un d'entre eux : ils se connaissent depuis vingt-cinq ans et ont travaillé durement ensemble, tout en tissant des liens d'amitié solides. On citera également Michele Alboreto, qui resta aux côtés d'Enzo Ferrari jusqu'à la fin. Le commendatore n'a jamais caché l'estime qu'il portait au pilote milanais, qui fut l'un des derniers italiens à avoir oeuvré pour Ferrari. On se souviendra qu'en 1985, le titre de champion du monde échappa de peu à Alboreto : il se classa deuxième, derrière Alain Prost, vainqueur sur McLaren. Cette année-là, le Cavallino fut aussi deuxième au championnat des constructeurs. Enzo Ferrari évoque le pilote milanais dans ses mémoires, Piloti, che gente : « On connaît ma sympathie pour Michele Alboreto. C'est un jeune pilote de talent, qui ne commet que rarement des erreurs. Il est rapide et stylé. Ses qualités me rappellent celles de Wolfgang Von trips, auquel il ressemble aussi par son sérieux et son éducation. Pour moi il figure parmis les six meilleurs pilotes de Formule 1 du moment, et si on lui confie une voiture compétitive, il n'oubliera pas de devenir champion du monde...». Michele Alboreto a sans doute été le dernier pilote à susciter l'estime sans conditon d'Enzo Ferrari et le fait qu'il ai été le pilote de Maranello entre 1984 et 1988, année de la mort d'Enzo Ferrari, ne fait rien à l'affaire. On se souviendra également qu'il défendit les couleurs de Ferrari au cours des années bien chaotiques pour le constructeur italien. Enzo Ferrari lui-même tenta de remédier à cette situation difficile et fit à cette occasion des choix courageux. Il décida en effet de prendre les choses en main en confiant l'élaboration d'une nouvelle voiture à l'anglais John Barnard, technicien de valeur "arraché" à prix d'or à l'équipe McLaren. C'est aussi Ferrari qui autorisa l'ouverture d'un centre d'études spécialisées en Grande-Bretagne, à Guilford : ainsi, pour la première fois en plus de quarante ans une partie de l'équipe technique se déplaçait-elle hors d'Italie... Les monoplaces conçues et réalisées par l'ingénieur anglais remportèrent onze victoires entre 1987 et 1991. Avant l'arrivée de Barnard dans le cénacle de Maranello, Ferrari avait confié la conception des voitures de Formule 1 à Harvey Postlethwaite (1984), tandis que Mauro Forghieri s'occupait de la production; puis en 1986, Ferrari appela Gustav Brunner, technicien autrichien. On remarquera donc que Ferrari n'avait nullement l'intention de prendre sa retraite...

Les dernières photographies du Commendatore le montrent les yeux dissimulés derrière des lunettes noires, le visage amaigri et les cheveux très blancs, mais arborant son traditionnel sourire. Certains clichés rendent hommage à sa joie de vivre, à son enthousiasme et à son bonheur : il semblerait que le temps n'ait eu aucune emprise sur lui et ses capacités. Le 14 août 1988, Enzo Ferrari meurt et l'impact de sa disparition sera très fort sur l'entreprise qu'il avait fondé et dirigée d'une main de maître pendant de longues décennies. Mais l'aventure de Maranello n'est pas terminée pour autant, car Ferrari avait pensé à sa succession, dans ses moindres détails : grâce à son rachat par Fiat plusieurs années auparavant, l'avenir est assuré. L'histoire personnelle d'Enzo Ferrari, l'un des hommes les plus talentueux du monde de l'automobile, est terminée mais celle de Maranello se poursuit, celle d'un petit cheval cabré noir sur fond jaune, caracolant sur le rouge des voitures les plus célèbres du monde. La course continue...

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